• Jacqueline, 5 ans et demi, son cochon et son couteau

     

    EXTRAITS DU TEMOIGNAGE DE JACQUELINE PEKER

    DEVENUE 20 ANS PLUS TARD DOCTEUR VETERINAIRE : 

     

    "J’avais tout juste 5 ans quand la police française est venue arrêter mon père." 

    "On a dit que tout le monde devait porter l’étoile, même les enfants. Ma mère a jeté quelques-uns de mes vêtements dans une valise. Nous avons pris le train et traversé la zone libre. A notre amie fermière, elle a dit : « Je vous la laisse et vendez mon alliance en diamants si je ne donne pas signe de vie. Ou je reviens la chercher ou nous y perdrons la vie. Protégez-là. »" 

    "Tout de suite j’ai compris qu’il fallait que je m’habitue.  Je suis allée embrasser les cochons, les vaches, les ânes…"

    "J’avais une passion pour mon compagnon le plus proche, mon couteau." 

    "Je ne parlais qu’avec les animaux et avec mon couteau qui était comme mon double."

    "Je me souviens des soldats allemands qui défilaient, en chantant, dans les rues de Saint-Honoré, les mains couvertes de sang,  parce qu’ils venaient de torturer à mort, le curé résistant et ami de ma mère …" 

    "Ma mère était responsable, avec le curé de Saint-Honoré-les-Bains, où elle habitait, de la résistance de cette région nivernaise. C’est pour cela qu’elle ne voulait pas me voir, pour ne prendre aucun risque."

    "J’ai presque 9 ans, quand ma mère me ramène à Paris. Je ne sais ni lire, ni écrire." 

    "Entre 14 et 25 ans, j’ai dévoré tous les ouvrages de la bibliothèque municipale des Lilas… tout de A – Edmond About – à Z – Stéphane Zweig." 

    "« Quand on est pauvre, on ne fait de philosophie », disait-elle en riant."

    "« Clientèle rurale Saint-Flour cherche aide longue durée ». ALD… Pas de précision de  sexe… J’ai appelé pour dire que j’arrivais, me gardant bien de dire que j’étais une femme." 

    "Ferraton, grand buveur de vin, pesait 120 kilos et mesurait 1m95. Gazal, grand buveur d’alcool de prunes, pesait 120 kilos et mesurait 1m80. Oui, 300 kilos de vétérinaires qui jour et nuit fonçaient sur les routes enneigées."

    "Tout a été OK et je crois bien que nous avons bu du champagne et béni le petit veau en grande forme…Le paysan a tenu à l’appeler « Jacqueline »… Elle est devenue une bien jolie Salers."

    "Ma grand-mère a quitté la Pologne antisémite quand elle avait 15 ans. Mon grand-père, menacé de devenir rabbin, s’est enfui alors qu’il avait à peine 20 ans. Ces deux jeunes juifs se sont rencontrés dans le train parti de Varsovie. Nous étions en 1910."

    "Je suis une Française juive mais je ne suis pas de « race juive » car je n’ai jamais entendu parler de « la race juive » et que « la race juive » est une invention d’Hilter et du nazisme." 

    "Personne ne doit oublier car tout peut toujours recommencer."

     

    TEMOIGNAGE DE JACQUELINE PEKER LE 09.06.2015

    « Il y a des souvenirs qui ne s’effacent pas… » 

     

    - Quel âge aviez-vous pendant la guerre ? Vous étiez une enfant.

    - Je suis née le 1er juillet 1936. J’avais trois ans au début de la guerre. 

    - De quelle famille venez-vous ?

    - Ma mère, enceinte, participait à toutes les manifestations  du Front Populaire.

    Mon oncle était un communiste militant et mon grand-père paternel, fusillé le 15 décembre1941, était un représentant du BUND*, mouvement opposé aux idées de Théodore Herzl (fondateur du sionisme) exigeant la création d’un état juif. Cela explique qu’après la guerre, ni ma mère, ni ma grand-mère n’aient voulu s’installer en Israël, alors que nous avions à peine de quoi vivre. 

    - Vous êtes issue d’une famille très politisée ?

    - Mon père, lui, ne s’intéressait pas à la politique. Arrivé en France à l’âge de trois ans, il était toujours apatride mais se considérait comme un pur Français.  

    Ma grand-mère, qui ne savait ni lire ni écrire, a voulu que je reprenne le flambeau. A 16 ans, j’ai été l’invitée du Parti Communiste tchèque et au retour, le PC français m’accordait une dispense d’âge. Nous nous sommes séparés douloureusement fin octobre 1959.

    Plus tard, à Alfort, personne n’a vraiment su quelle était ma position politique. J’ai suivi mes cours, comme tout en chacun, alors que j’aurai pu, en seconde ou en troisième année, me présenter à la députation. 

    - Votre grand-mère parlait yiddish** ?

    - Oui et ma mère était bilingue. Mais après la guerre ces deux femmes ne me parlaient qu’en français. Ma grand-mère ne voulait plus entendre parler yiddish. Elle ne voulait plus entendre le mot « religion ».

    Et vous ?

    - Je crois surtout que j’avais appris à être silencieuse.

    - Revenons aux vaches et cochons. Dans quelles circonstances vous vous êtes retrouvée à la campagne ?

    - Mon père ne revenait pas. Ma mère disait qu’il était encore à Drancy mais qu’elle  ne pouvait pas le voir.

    On a dit que tout le monde devait porter l’étoile, même les enfants. Ma mère a jeté quelques-uns de mes vêtements dans une valise. Nous avons pris le train et  traversé la zone libre. A notre amie fermière, elle a dit : « Je vous la laisse et vendez mon alliance en diamants si je ne donne pas signe de vie. Ou je reviens la chercher ou nous y perdrons la vie. Protégez-là. » 

    - Votre mère connaissait cette fermière ?

    - Mes parents y avaient passé quelques vacances et ma mère pensait que Madame Teyssèdre ne refuserait pas de l’aider. Elle a eu raison car tout le monde risquait la mort en acceptant de cacher des Juifs, même des enfants. 

    - Vous aviez quel âge ?

    - J’ai 5 ans et demi.

    Ma mère n’est restée que quelques heures juste le temps pour m’expliquer qu’il fallait que je dise à personne ce qui nous était arrivé : les arrestations, mon père à Drancy, plus de nouvelles de mon oncle et mon grand-père fusillé au Mont Valérien. Je crois bien avoir tout raconté aux animaux qui m’ont adoptée dès mes premiers câlins, mais j’ai boudé les humains pendant presque trois ans.

    Madame – on disait « la Mère » – Teyssèdre s’est occupée de moi et je m’occupais des animaux, disons que je faisais tout ce qui était à ma hauteur.

    Donc, pour l’aider financièrement ma mère lui avait laissé une ou deux bagues… au cas où elle ne reviendrait pas...

     ...

    Pour lire la suite du TÉMOIGNAGE DE JACQUELINE PEKER, cliquer sur le lien ci-dessous : 

    Télécharger « TEMOIGNAGE JACQUELINE PEKER le 09.06.2015.pdf »

     

    Voici la plaque commémorative posée en 1948 sur la maison des grands-parents maternels de Jacqueline Peker rendant hommage à son grand-père Ferdinand Feldman, juif, communiste et résistant qui a été fusillé par les nazis le 15 décembre 1941 au Mont-Valérien

    et qui est mort pour la France en chantant la Marseillaise :

     

    Jacqueline, 5 ans et demi, son cochon et son couteau